v

Table Rase - Un film de Christian Zarifian (1988 - 79 minutes)

 


  •  A. Bergala, Cahiers du cinéma - A. Nassib, Libération - I. Fajardo, Telerama  •  
  •  L. Marcorelles, Le Monde - J. Calmé, Le Figaro - M. Mohrt, Le Figaro  •  
  •  G. le Morvan, L'Humanité - S. Mairet, Humanité dimanche - S.D., La Vie  •  
  •  G. Lamy, Havre Libre - N.C., Havre Libre - G. Petillat, Cité Le Havre - W. Joly, Journal de Criquetot  •  
  •  P. Piro, Agence Reuter - P. Webster, The Guardian - A. Hunt, The Guardian  •  
  •  B. James, International Herald Tribune - P. Marnham, The Independant - P. Freriks, Der Volkskrant  •  


Paul Piro

Agence Reuter


LE HAVRE A FEU ET A SANG

"Le Havre : 200.000 habitants. En grande partie détruite pendant la Seconde guerre mondiale, la ville a été rebâtie selon les plans d'Auguste Perret. Grâce à ses aménagements, le port est accessible aux plus gros navires. C'est le 1er port transatlantique." Voilà ce que dit le dictionnaire. Et que raconte l'Histoire ? Le document de Christian Zarifian nous rappelle la dramatique réalité révélée seulement en 1975 par les archives britanniques. Le Havre aurait-elle pu être épargnée ?

Plus qu'aucune autre cité de Haute-Normandie, Le Havre, point névralgique du mur de l'Atlantique, a pris sa part de malheurs pour la libération de notre sol et la victoire de nos armes. Le bilan est catastrophique : 5.126 morts, 132 bombardements, 12.500 immeubles entièrement détruits, 350 épaves dans le port ...
Table rase et Christian Zarifian s'interrogent : "Pourquoi une telle furie ? Pourquoi avoir exigé de tels sacrifices d'une population qui attendait avec tant d'espoir sa libération ? Zarifian, normand d'adoption, originaire d'Arménie, répond : "Rappelons que Paris a été libérée en août 1944 et que le drame se produit au tout début septembre. Le Havre espère donc sa libération. Mais les Allemands et le Colonel Wildelmuth ont reçu l'ordre de tenir le plus longtemps possible. Montgomery et les Alliés émettent l'idée que l'on peut mener une offensive rapide en direction de l'Allemagne par la Belgique. Mais il lui faut un grand port pour le ravitaillement. Ce sera Le Havre. Les Alliés font savoir à Wildelmuth que s'il ne se rend pas, ils s'en prendront à la population civile. Wildelmuth décide de se battre. Le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle, en contact constant avec Londres, n'intervient pas. Les 5 et 6 septembre, les bombes tombent sur Le Havre. Puis ce sera le feu. Et les morts. "Et dire, souligne Zarifian, que Le Havre était encerclée par les Canadiens et les Anglais et qu'une attaque terrestre soutenue par les avions alliés aurait pu éviter le drame".
Le document de Christian Zarifian commence par le témoignage de trois aviateurs anglais retrouvés grâce à BBC TV Southampton, une station régionale de la BBC. Une autre partie de Table rase - la plus poignante - est consacrée aux témoignages d'hommes et femmes ayant vécu la tragédie. Illustrée par une alternance d'images du Havre avant, et après les bombardements, le récit est quelquefois insoutenable. Enfin, Christian Zarifian termine son document par des prises de vue du Havre aujourd'hui, dans la nuit. La ville construite "au carré", maquillée de néon, semble morte comme si l'histoire avait laissé une marque indélébile. "Il règne encore un hallo de honte autour de cet événement étouffé, oublié. Pour réaliser mon film, j'ai fait d'énormes recherches. Des encyclopédies historiques ne parlent pas des bombardements ou en deux trois lignes.
Zarifian aime la Normandie et le Havre. Il dit que "dans ses larges avenues il y respire bien. Je me sens ici citoyen du monde et, paradoxalement, j'ai l'impression que le passé ne me pèse pas".
"Le Havre, 220.000 habitants, dit le dictionnaire. 2è port de marchandises après Marseille, 3è d'Europe, accessible aux plus gros navires. La ville est économiquement liée à Rouen pour former l'avant-port de la région parisienne". La vie continue...
Mais 44 ans plus tard, dimanche 21 février 1988, on pouvait lire à la Une du Sunday Times qu'un certain William Douglas Home, frère de Sir Alec Douglas Home, ancien ministre des Affaires étrangères, demande la révision de son procès. Faisant partie des troupes terrestres britanniques, W. Douglas Hame, connaissait les projets de bombardement du Havre et avait déserté. Il avait été traduit en cour martiale. Les Anglais vont se souvenir...

Traduction de l'article de Paul Webster

paru dans The Guardian


Les baraquements qui abritèrent les quartiers de commandement allemand pendant l'occupation servent aujourd'hui au service des Archives du Havre.
Vu de la mer, ce troisième port d'Europe ne montre qu'une accumulation déprimante de tours de béton de l'après-guerre dominée par le clocher gris d'une église.
Le 5 septembre 1944, dans l'après-midi, le quartier général des forces d'occupation se trouva être le meilleur point de vue pour assister à l'un des bombardements les plus réussis effectué par la Royal Air Force durant la deuxième guerre mondiale.
Un périmètre de plus d'un kilomètre carré découpé en plein centre de cette ville de quatre cents ans fut totalement balayé par les bombes larguées par 348 bombardiers Lancaster. A la fin du raid, 2000 civils français avaient trouvé la mort, tandis que le QG allemand restait intact, bien exposé au sommet de la colline.

Quelque part dans la campagne environnante, le Capitaine William Douglas Home, le frère d'un futur premier Ministre, se trouvait conforté, par ce spectacle terrible, dans son refus de participer à des attaques contre des populations civiles.
"Je n'ai pas l'estomac pour faire cette guerre d'annihilation", avait-il dit, refusant de faire entrer ses tanks dans la ville pour l'assaut final : les Britanniques n'avaient pas accepté d'évacuer les civils en dépit de la requête du commandement allemand.
Aujourd'hui, une pièce à conviction irréfutable plaide en sa faveur, un documentaire, Table Rase ("Clean Slate" ), qui sera présenté en avant-première ici demain soir avant d'être diffusé à la télévision.
Le film a été tourné par un metteur en scène de la région, Christian Zarifian, troublé par le silence embarrassé des Français et des Anglais à propos de cette action de guerre, qu'on aurait pu considérer comme un crime de guerre. Mr Douglas Home s'est appuyé dans son rapport dans le cadre d'une nouvelle question soulevée dans l'affaire Waldheim.

Mr Douglas Home n'apparaît pas dans le film bien qu'il ait une réputation de héros dans la région. Mais les historiens interprètent son acte comme une preuve que le Haut Commandement Britannique était au courant que des civils français allaient être blessés par les bombes.
"En dépit des demandes réitérées d'une enquête officielle en France, l'affaire n'est toujours pas éclaircie et de nombreuses questions restent sans réponse," affirme Mr. Zarifian ; selon lui, l'attaque a eu lieu après que la Normandie et Paris ont été libérés, et les 12000 hommes de garnison allemands étaient sur le point de se rendre.
Dans son film, la plupart des 60000 havrais qui survécurent au raid racontent ces événements dramatiques, quand les vagues successives de Lancaster "noircirent le ciel", selon l'un d'entre eux, et détruisirent méthodiquement une population sans défense.

L'erreur n'était pas d'ordre tactique. L'ordre émanait du Gal Montgomery, qui félicita les pilotes à leur retour. Les recherches ont montré que les britanniques connaissaient parfaitement les positions allemandes mais choisirent de bombarder les civils français.
Malgré le raid, les allemands continuèrent leur combat pendant une semaine, et la rumeur se répandit que les britanniques voulaient vraiment détruire le Havre pour mettre un terme à la compétition qu'il faisait à Southampton ; une rumeur qui ressurgit régulièrement.
Les photographies prises après le raid des Lancaster montrent que le centre du Havre a été aussi bien balayé qu'Hiroshima. Les pilotes britanniques interviewés dans le film affirment que les officiers leur avaient dit pendant le briefing avant l'attaque qu'il n'y avait plus de civils dans la région visée.

"On ne sait toujours pas exactement qui a donné l'ordre d'attaquer et pourquoi," selon Mr. Zarifian. "Les seules personnes interviewées sont des citoyens ordinaires et les pilotes qui ont survécu à ces événements. Le film montre comme les gens du Havre ont souffert, et comme cette blessure reste vivace. "

Traduction de l'article d'Albert Hunt

paru dans "The Guardian"


On fêtait un anniversaire au Havre ce jour-là. Les avions de guerre tiraient vers le ciel bleu, viraient, faisaient des loopings, se mettaient en vrille, redescendaient vers le sol selon des angles terrifiants, tournoyaient autour de la cathédrale. Je me tenais assis sur la terrasse de l'hôtel Mercure, et les avions semblaient raser les toits des bâtiments. Je me disais que c'était vraiment une célébration extraordinaire du 44ème anniversaire de la destruction de la ville par un bombardement aérien.
C'est en raison de cet anniversaire que je me trouvais au Havre, et aussi de l'occasion de rencontrer le metteur en scène local Christian Zarifian. C'est à travers des compte-rendus de son film que j'ai entendu parler pour la première fois de cette destruction. La ville avait été complètement balayée par un bombardement en septembre 44.
Aucun des nombreux livres que je possédais sur la guerre ne mentionnait ce raid. J'écrivis donc à Christian Zarifian et il m'envoya une copie de son film, qui était passé à la télévision française.

Le film confirmait que le bombardement avait été un exemple classique des tactiques employées à ce stade de la guerre. Les Pathfinders arrivèrent au-dessus de la ville à 17h30. Ils larguèrent leurs balises de repérage sur le centre-ville. Pendant deux heures, des vagues de bombardiers lourds traversèrent la Manche. Guidés par un bombardier qui dirigeait les opérations par radio, ils lâchèrent leurs bombes, éventrant les toits des maisons, des églises, des restaurants, du théâtre, de l'Hôtel de Ville.
A la fin du raid, rien ne tenait plus debout dans le périmètre bombardé. "Rien, rien du tout", dit Zarifian. "Pas une miette". On a dit que 3000 civils avaient été tués en deux heures.

Christian Zarifian m'a dit avoir en sa possession trente heures d'enregistrement d'interviews de survivants. Je pensais que cela pouvait être intéressant d'en rencontrer quelques uns à l'occasion du 44ème anniversaire. Mais je ne m'attendais pas à ce show aérien.
En fait, ce n'était pas le 44ème anniversaire, mais le 70ème anniversaire du retour du gouvernement belge en exil à Sainte-Adresse à la fin de la première guerre mondiale. Je demandais ce soir-là à C. Zarifian ce qu'il en était de l'anniversaire de la destruction. Pas grand chose, me répondit-il. Une petite réception dans un restaurant, à l'Escale, en face de l'Hôtel de ville. Il m'emmena sur les hauteurs de la ville au nord. L'un de ses témoins, Mme Bejin, me raconta comment sa mère et elle purent voir s'avancer précautionneusement les premiers soldats anglais le jour officiel de la libération de la ville. L'un des anglais avait demandé à sa mère : "Vous n'avez pas l'air très heureuse. Pourquoi ?" Elle lui avait répondu : "Vous comprendrez quand vous serez en bas."
En bas, en ce soir ensoleillé quarante-quatre ans plus tard, la ville ressemble à une carte ; son centre a la forme d'un rectangle. Sur les bords du rectangle, les toits bleus des maisons d'avant-guerre se dressent encore. A l'intérieur, tout a été reconstruit.
Pendant trois mois après le bombardement, ils ont creusé pour déterrer les corps ensevelis, me dit Zarifian. Mais, au bout d'un temps, ils n'en trouvaient plus suffisamment, alors ils ont fait passer les bulldozers et remettre à niveau. Ils se sont servis des décombres pour fabriquer les fondations. Et ils ont bâti la ville nouvelle deux mètres au-dessus de l'ancienne.
Je posai à Christian la question que Mme Bejin me poserait plus tard : "Pourquoi ? Il n'y avait pas d'allemands, pas d'abris, pas de défenses. Pourquoi le centre et pas le port ? " Christian me répondit que je devais rencontrer le colonel Poupel.

Dans les films de Renoir ou de Bunuel, on voit des hommes qui s'appellent les uns les autres Mon Colonel, mais, pour ma part, je n'en ai jamais rencontré en chair et en os. Le mien était en fait très occupé par la célébration de l'anniversaire des belges. Il était responsable de l'organisation des transports, de leur installation et de leurs repas. Mais il a pu me consacrer une demi-heure de son temps après les avoir accompagnés à l'aéroport.
La demi-heure dura en fait plus longtemps. Il voulait s'assurer que tout était bien clair dans mon esprit, et que je ne dénaturerais pas ses propos. Je le lui promis. J'espère que j'ai tenu ma promesse, Mon Colonel.

"Que savez-vous du siège du Havre ? me demanda-t-il. Je lui répondis que je n'en savais rien. Puis, je me souvins d'une rencontre avec William Douglas-Home, l'acteur, l'écrivain de théâtre et le frère d'un ancien Premier Ministre anglais.
William Douglas-Home se trouvait dans les tanks anglais, autour du Havre ce septembre-là. Il avait refusé d'obéir à l'ordre d'attaquer. "C'est tout à fait inutile d'attaquer cette ville, écrivit-il à ses parents. C'est seulement pour permettre à un politicien quelconque de dire que tout le territoire français est libéré".
Il continuait en ajoutant que le commandant allemand de la place avait demandé trois jours supplémentaires pour évacuer tous les civils et que les anglais avaient refusé. "Cela fait quatre jours et le combat n'a pas encore commencé". Il ne pouvait pas savoir que pour 3000 civils, le combat était fini.
Je lui avais demandé comment son supérieur avait réagi quand il avait refusé d'obéir aux ordres. "Il était en train de se raser, à ce moment-là. Il a envoyé chercher un sergent pour servir de témoin et l'autre se rasait aussi."
Cela n'aurait pas eu de suite s'il n'avait envoyé une lettre au Maidenhead Advertiser. Il se battait pour une élection locale à Maidenhead contre la politique de reddition sans conditions, qui, pensait-il, prolongeait la guerre. Il voulait essayer de la raccourcir en permettant aux allemands de négocier de façon décente leur reddition. On le fit passer en Cour martiale et il fut envoyé à Wormwood Scrubs, après avoir été dégradé. "On vous arrache les insignes de l'épaule gauche."
Puisque les journaux injurient actuellement le président autrichien pour ne pas avoir refusé d'obéir aux ordres, il essaie de faire annuler sa dégradation et sa condamnation. Je lui ai demandé s'il recoudrait ses épaulettes sur son uniforme ; il m'a répondu qu'il n'avait plus d'uniforme.

Douglas-Home pouvait bien penser qu'une attaque sur le Havre était inutile ; Montgomery, lui, pensait le contraire. Au début de septembre, il donna l'ordre de prendre le port le plus rapidement possible. C'est pourquoi, selon le colonel Poupel, le massacre des civils était inévitable.
Le colonel étudie depuis vingt ans les raisons de la destruction et il pense avoir une réponse définitive. Il rejette l'idée d'une erreur des bombardiers : "Les Anglais ne sont pas des idiots." Il rejette aussi l'idée que le Havre ait pu être détruit dans le but de protéger les intérêts commerciaux de Southampton. : "Ils voulaient avoir le port intact". Et il rejette le fait que les Anglais aient pu être mal informés. Bien au contraire, ils possédaient toutes les informations nécessaires sur les défenses allemandes qui encerclaient la ville à une distance de cinq kilomètres.

Ils n'ignoraient rien non plus du commandant allemand, celui qui avait proposé l'évacuation des civils. Ce n'était pas un véritable officier, mais un colonel de réserve qui n'aimait pas Hitler. Il n'était au Havre que depuis une quinzaine de jours avant le début du siège. C'était un banquier qui était en affaire avec des anglais avant la guerre. Les anglais pensaient bien le connaître, ce commandant allemand.
Le commandement anglais qui se trouvait à l'extérieur du Havre subissait une pression extrême. J'ai dû m'atteler à l'histoire de la bataille de Normandie ( le colonel m'a donné un livre énorme sur la question). L'invasion de la Normandie en juin 44 devait permettre de terminer la guerre en juin 45. Mais quand Montgomery installa sa tête de pont, il ne trouva personne en face de lui. Il entra en Belgique et modifia ses plans. Il allait passer par le nord de l'Allemagne, entrer dans Berlin avant les Russes et la guerre se terminerait avant Noël. Il s'appuierait sur l'attaque des troupes parachutées sur Arnhem. Mais il était à court de fournitures. Il avait besoin d'un port. C'est pourquoi il ordonna d'attaquer le Havre.
Le commandement anglais pensait prendre le Havre non pas en une semaine mais immédiatement. Chaque jour, chaque heure, chaque minute était vitale, aux dires de Poupel. Mais les défenses autour du Havre étaient puissantes. C'était une véritable forteresse. Que pouvait faire le commandement ?
C'est à ce moment-là que le commandant allemand dévoila une faiblesse. Il offrit d'évacuer les civils. Evidemment, les anglais refusèrent. L'évacuation prendrait du temps. Et les civils constituent toujours une gêne pour les défenseurs pendant un siège. Pourquoi laisser le commandant allemand se débarrasser d'une gêne ?

Mais il y avait encore autre chose. Ce colonel de réserve, qui n'aimait pas Hitler, venait ainsi de montrer qu'il prenait soin de ces civils. Le commandement anglais décida de faire peser une pression psychologique. Il donna l'ordre aux bombardiers d'anéantir les civils.
Selon Poupel, du point de vue militaire, la tactique était bonne. Mais ils ont fait une erreur de jugement. Après avoir offert de les évacuer, le commandant ne considérait plus ces civils comme étant sous sa responsabilité. C'était un homme d'honneur. Il avait des ordres, tenir le Havre le plus longtemps possible. Et il obéissait aux ordres, en dépit des plaintes du clergé, après le bombardement. Il refusa de se rendre.
Les Anglais n'avaient plus d'autre alternative que de poursuivre le bombardement sur les défenses extérieures et sur le port. Cela leur prit une semaine et leur coûta 400 soldats. Le prix de la libération, pour le colonel. Arnhem fut un désastre et la guerre se prolongea jusqu'en 45. Mais le commandement anglais aurait pu avoir raison. Ce qu'il avait entrepris était logique.

"Tous les moyens sont bons, dit le colonel. C'est la guerre elle-même qui est sale." Les Anglais ont fait aux civils ce que les Allemands ont fait aux Juifs. Mais la motivation était différente. Les Anglais se battaient pour la liberté. Lui-même a toujours aimé la liberté. C'est pourquoi il était contre les socialistes.
Le colonel rendait cette destruction tout à fait raisonnable. Il disait qu'il avait lui-même vécu le raid. Il avait aidé à dégager les blessés.
Mais pour ceux qui furent piégés dans la zone bombardée, pour Mme Bejin qui regardait du haut de sa colline, ce bombardement n'avait rien de raisonnable. Elle a vu les bombardiers venir de la mer. Les gens se sont jetés dans l'eau et sont morts bouillis, dit Mme Bejin. Ils sont morts étouffés dans les caves. "C'est normal, commente son fils de 38 ans. Les avions faisaient leur travail. "Je vois ça du point de vue d'un soldat, dit-il. J'ai passé quatre ans à collecter des informations sur des terroristes iraniens. Je faisais mon travail."
J'ajoutais que c'était la même chose avec l'affaire des Malouines. Les Anglais devaient libérer les Malouines. Ils avaient fait leur travail. "Je dis Bravo, Mme Thatcher", s'exclama le fils de Mme Bejin. Sa mère acquiesça.

Trois de leurs amis se sont fait piéger dans ce qu'on appelle maintenant l'Escale, le restaurant. C'est l'ancien Guillaume Tell. Ils se sont échappés par une porte latérale. C'est sur l'un des côtés du restaurant que se tenait la cérémonie. 70 personnes à peu près, pour la plupart des vétérans, s'étaient réunis autour d'une plaque apposée à l'extérieur. La plaque rappelait le souvenir des "cadres et des équipiers nationaux" morts, victimes de leur devoir, en cette nuit du 5 septembre 44.

L'un de mes amis, Peter Hinchliffe, faisait partie du raid. "C'était une sacrée virée", a-t-il écrit dans son journal de l'époque. "On parlait comme ça en ce temps-là. Nous étions très jeunes," dit-il.