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Table Rase - Un film de Christian Zarifian (1988 - 79 minutes)

 


  •  A. Bergala, Cahiers du cinéma - A. Nassib, Libération - I. Fajardo, Telerama  •  
  •  L. Marcorelles, Le Monde - J. Calmé, Le Figaro - M. Mohrt, Le Figaro  •  
  •  G. le Morvan, L'Humanité - S. Mairet, Humanité dimanche - S.D., La Vie  •  
  •  G. Lamy, Havre Libre - N.C., Havre Libre - G. Petillat, Cité Le Havre - W. Joly, Journal de Criquetot  •  
  •  P. Piro, Agence Reuter - P. Webster, The Guardian - A. Hunt, The Guardian  •  
  •  B. James, International Herald Tribune - P. Marnham, The Independant - P. Freriks, Der Volkskrant  •  


Gilles Lamy

Le Havre Libre, 18 Mars 1988


LE 5 SEPTEMBRE 1944, LE MARTYRE DU HAVRE SOUS LES BOMBES

Avec Table rase, la caméra de Christian Zarifian témoigne d'une douleur cachée.


Septembre 1944. Les alliés ont débarqué en juin et les Havrais attendent calmement la libération de leur ville. Il reste bien quelques troupes allemandes sur les hauteurs, mais elles se tiennent plutôt tranquilles. Et si quelques bombes tombent encore, elles visent surtout les installations portuaires. Aussi, le 5 septembre, quand les sirènes se mettent à hurler, vers 17 heures, les Havrais gagnent les abris, pensant à une nouvelle attaque contre le port. Mais ils vont très vite comprendre que ce n'est pas un raid comme les autres. Les avions là-haut, qui cachent presque le soleil tellement ils sont nombreux, sont des bombardiers de la R.A.F. Il y en a 340, on l'apprendra plus tard, qui lâchent 1.820 tonnes de bombes pendant plus de deux heures. La ville est rasée. On compte plus de 3.000 morts...

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Dans le dernier film de Christian Zarifian, Table rase, des Havrais parlent, souvent comme ils ne l'ont jamais fait. Au travers d'une vingtaine de témoignages, ils racontent la peur, l'horreur et la douleur. Avec beaucoup de pudeur. Car il y a des choses dont on ne parle pas spontanément.

QUELQUE CHOSE PESE SUR LE HAVRE

« J'ai interviewé chacun d'eux longuement, explique Christian Zarifian. Il fallait du temps pour les amener à parler, à sortir des généralités sur la guerre. J'attendais qu'ils revivent avec tous leurs sens cette peur, cette douleur. C'était bouleversant. Mais après, ils étaient soulagés. Quand j'ai vu à quel point le souvenir était présent, j'ai été certain qu'il fallait déterrer tout cela. Le faire venir au grand jour. Il me fallait faire une psychanalyse de cette ville ».
Dès son arrivée, il y a vingt ans, Christian Zarifian s'aperçoit que « quelque chose pèse sur le Havre, quelque chose de bizarre dans l'ambiance, de lourd, de dramatique ». Il comprend vite que cela vient de cette destruction, et il veut en savoir plus. Il commence par lire les nombreux livres parus sur le sujet. Mais cela ne le satisfait pas. Et c'est la rencontre avec une trentaine de témoins, dont la moitié éclate en sanglots, qui sera décisive. Les entretiens sont longs, douloureux, bouleversants. Le cinéaste fait remonter à la surface des souvenirs que les survivants avaient enfouis au plus profonds d'eux-mêmes. Les bâtisseurs n'ont-ils pas reconstruit la ville deux mètres plus haut, sur les décombres, comme s'ils avaient voulu cacher l'ampleur du désastre ...
C'est pourquoi ce film concerne tous les Havrais. Ce serait un échec si seules les personnes âgées venaient le voir, confie Christian Zarifian. Table rase comble un vide dans l'histoire de la ville, qui a caché ses ruines comme autant de plaies.

POURQUOI ?

Dans la première partie du film, un historien retrace l'histoire du Havre. Ville artificielle, construite sur une terre inhospitalière, des marécages, Le Havre accueille des errants, des individus sans feux, ni lieux. Aujourd'hui encore, la moitié des gens qui y vivent n'y sont pas nés. C'est une ville de brassage et aussi, dernière escale avant le grand large, une ville de passage. Des images d'archives, qui datent d'avant-guerre nous montrent un Havre prospère et agréable.
On y entend aussi le témoignage d'aviateurs anglais, car il s'agit également de tenter de répondre à une question : pourquoi l'aviation britannique a-t-elle, le 5 septembre, bombardé le centre ville, où il n'y avait pas d'objectif militaire ? Et pourquoi l'état-major anglais a-t-il refusé l'évacuation de la population ? S'agissait-il, comme beaucoup le pensent, d'une opération d'intimidation ? Ou, hypothèse encore plus terrible, les Anglais auraient-ils profité de cette occasion pour se débarrasser d'un concurrent économique plus que gênant ? Christian Zarifian n'a trouvé personne pour défendre devant la caméra cette seconde explication. Cependant, elle existe.
Dans la seconde partie du film, on retrouve les témoignages évoqués plus haut. Avec des mots simples, les survivants racontent ce qu'ils ont vu et ressenti le 5 septembre 1944, sans chercher à comprendre, ni à accuser. Pour certains, ce sont des souvenirs d'enfants, d'autres étaient déjà adultes lorsqu'ils ont vécu l'événement. Certains s'expriment très bien, d'autres emploient les mots de tous les jours. Les bombes ont frappé indistinctement.
La troisième partie est beaucoup plus personnelle. Christian Zarifian nous présente Le Havre d'aujourd'hui, une ville carrée, tout aussi artificielle, « Les constructeurs aussi ont fait table rase ». La caméra explore la ville reconstruite, Il n'y avait qu'un horsain, à la recherche d'un point d'attache pour faire ce film. « J'aime la ville quand les rues sont vides, dit le cinéaste. Quand Il n'y a plus que le vent, la lumière, le ciel et les grandes avenues. On n'est pas opprimé, on respire. C'est une drôle de ville sauvage, pas agréable, pas chaude, mais je m'y sens bien ».



N.C.

Le Havre Libre


RENCONTRES AUTOUR DE « TABLE RASE » :

Passions et polémiques

En mars 88, le film de Christian Zarifian, Table rase est apparu sur les écrans havrais : des documents et témoignages faisant resurgir de la mémoire collective les bombardements douloureux de septembre 44. Cette année également, on parle beaucoup du Havre en Grande-Bretagne avec la réhabilitation possible de Douglas-Home, ce lieutenant tankiste qui avait été condamné, dégradé et emprisonné après jugement en Cour martiale pour avoir refusé, la veille de la libération du Havre, de faire avancer les chars sur la ville.
Des brèches ainsi, peu à peu, se font dans ce silence qui a perduré quarante-quatre ans, sur des événements occultés par les témoins comme par les historiens.

La rencontre organisée la semaine dernière par la M.C.H., réunissant, après la projection du film, historien, psychiatre, architecte, psychanalyste et réalisateur, devant un public nombreux, a montré que ce long silence ne se déchire encore qu'en des soubresauts passionnés. On aura tout entendu ! Des discours stéréotypés entrecoupés de réflexions pertinentes et beaucoup d'agressivité : « le travail du deuil » est loin d'être fait, et toute vérité n'est pas si bonne à dire !

Il y a eu une multiplicité de discours durant une heure et demie, des réactions violentes et des monologues stériles : de quoi y perdre son histoire ! D'abord la parole du psychiatre le Dr Charignon, puis du psychanalyste le Dr Telegon. Le premier a insisté sur l'aspect salutaire d'un « tel film qui oblige les gens à parler, et à opérer le travail du deuil ». Le second s'est perdu dans des considérations pour le moins sibyllines. Il y a eu le discours de l'historien, M. Legoy, qui a refusé la nostalgie du Havre d'avant-guerre, riche de vestiges historiques, et qui a bombardé tout passéisme à coup de statistiques : « dès 1919, les vieux quartiers étaient appelés à disparaître. En 1930, un projet de reconstruction incluait la disparition totale de Saint-François et Notre-Dame. Une enquête aurait abouti à la conclusion qu'il n'y avait aucun passé archéologique empêchant la rénovation des quartiers. L'insalubrité de la ville avait d'ailleurs causé le refus du Conseil d'Etat de la candidature du Havre pour être une ville balnéaire. Sur 16 000 immeubles, 2 000 seulement étaient reliés aux égouts, et avec 500 morts par an de tuberculose, Le Havre détenait le record national ». La réaction du public fut violente et l'historien critiqué pour suggérer ainsi que la destruction du Havre fut un bienfait, ce qui n'était assurément pas dans son propos.

LE SILENCE DE LA CULPABILITE

Il y a eu le discours évoquant une certaine collaboration de la population, tant par les renseignements donnés que par les aides aux entreprises, qui a parfois contribué à donner l'image d'une ville « ennemie » aux Alliés. Il y a eu le discours applaudi du colonel Poupel : « Le silence est celui de la souffrance c'est le silence de ceux qui savent ce que sont les larmes, qui connaissent la chape de plomb de la douleur ». Christian Zarifian explique ce silence de quarante-quatre ans par l'occultation des « historiens qui jamais n'ont évoqué cette destruction. Et même depuis la sortie du film je n'ai vu aucun sociologue ou historien enquêter sur ce problème ! »
Amnésie institutionnelle, culpabilisante ou silence de la souffrance, le non-dit de ces bombardements est terrible, et les polémiques soulevées sont révélatrices : « On n'en parle que pour se déchirer, alors on préfère ne pas en parler ».

Gérard Petillat

Cité Le Havre


Le 18 mars, la ville du Havre va découvrir sur ses écrans un film qui ne manquera pas de la bouleverser et qui risque de faire du bien et du mal à son histoire. L'histoire c'est celle des bombardements de septembre 1944.
Le film c'est celui de Christian Zarifian, Havrais d'adoption, et qui à base de documents et de témoignages remet à l'heure les pendules troublées, comme pour exorciser la ville de son mal.


LES ALLIES DETRUISENT LE HAVRE
POURQUOI ? C'EST TOUT LE SUJET DE "TABLE RASE", LE FILM DE CHRISTIAN ZARIFIAN

Il y a 44 ans Le Havre tournait le dos à une partie de son passé, trop subitement et sans nul doute trop vite, pour aller se fondre tragiquement dans une autre histoire plus sourde, plus parasitaire... En septembre 1944, saignée, brûlée, enfoncée, la ville subissait un bombardement aveugle comme rarement en subiront d'autres villes, même plus stratégiques. Comme pour lui rappeler que depuis sa naissance et jusqu'à ce jour apocalyptique, elle ne pouvait que s'agenouiller et se conformer à son image de cité bousculée. Une cité sans cesse détruite, rasée, reconstruite, et hélas sans cesse lancée à la poursuite d'une âme toujours fuyante... Aujourd'hui, au sein d'une mémoire collective qui semble bien avoir la volonté d'oublier - mais avec grand mal - un homme se dresse pour rouvrir cette plaie qui n'en finit pas de gangrener tous les murs, même modernes. Réalisateur, Havrais d'adoption, Christian Zarifian sort un film plus que poignant sur la destruction de notre ville. Pour ce cinéaste amoureux du Havre, Table rase se veut être avant tout le mal qui guérira l'agglomération par le mal. "C'est une ville où je me sens bien, où je respire bien. Mais depuis le début (il y a une vingtaine d'années), je sentais qu'il y avait quelque chose de bizarre que je m'expliquais mal. Les gens évoquaient des choses puis se taisaient rapidement (...) et puis forcément je suis tombé sur des photos du Havre détruit. A chaque fois cela me frappait, tellement la destruction était radicale. J'ai eu envie d'aller vois plus loin, d'aller voir plus près. J'ai commencé par recueillir des témoignages (...) ce qui m'a alors convaincu de faire absolument un film. Car je ne m'attendais pas à découvrir des choses aussi fortes, aussi énormes, une douleur aussi lourde. J'ai beaucoup élagué dans le film pour que ça ne devienne pas insupportable au spectateur. Il y avait des choses très dures, intenables à entendre (...) Aujourd'hui les gens cherchent à oublier, mais ce n'est certainement pas la meilleure façon de résoudre le mal ; il me fallait faire une psychanalyse de cette ville".
Septembre 1944. Le Havre malgré encore la présence des troupes allemandes rassemblées dans les forts qui surplombent la ville, malgré les Anglais et les Canadiens qui resserrent l'étau, Le Havre est calme et raisonnablement optimiste, malgré les nombreux bombardements du port. Puisque maintenant le débarquement réussi de juin permet de lancer les troupes alliées sur tous les fronts, les Havrais attendent donc sereinement leur libération, entre tous les silences ponctués des alertes aux abris, des survols d'avions qui ne concernent que les installations portuaires. Il fait beau, dit-on. On joue même au tennis sur certains courts de la ville, affirme un témoin. Le Havre est calme. L'après-midi est calme le 5 septembre 1944. Peu avant 17h pourtant, hurlent les sirènes. On s'abrite mais on lève la tête aussi ; les yeux s'attardent et s'attachent à suivre une première vague d'avions plus petits que les habituels bombardiers, et qui viennent lâcher des mires métalliques destinées à brouiller les installations allemandes au sol. On pense une nouvelle fois au port plus que meurtri. On s'attarde à penser... Puis ceux d'en haut quadrillent plus précisément, balisent le terrain à napper de bombes. Là-haut -et vu d'en bas- un autre témoin affirmera que la vague d'avions atteignait un bon kilomètre de largeur. Quant à la profondeur, elle semblait infinie, presque à masquer le soleil, à créer comme un nuage sombre. Les avions, on les reconnaît, ce sont des bombardiers "Lancaster" de la R.A.F. Il est peut-être 17h, 17h30. Les bombes pleuvent, on attend, la tête rentrée dans les épaules. Très vite, trop tard, on saura qu'elles touchent la ville, l'Hôtel de Ville, le Théâtre, les maisons. L'enfer va durer deux heures. Deux longues heures inimaginables qui vont abêtir les habitants, les tuer même s'ils restent vivants, les précipiter vers un traumatisme profond qui aujourd'hui ne peut être que trop présent. On pleure, on crie dans la poussière, le soufre ; les rues et les avenues deviennent lunaires. Là-haut, l'efficacité est jugée entière, suivant cette technique de bombardement en tapis. On lamine... En bas dans l'enfer, on prie dans les tranchées improvisées. Le déplacement d'air est tel que le souffle "fait claquer les jambes de pantalon des hommes...". "On entendait crier, si vous aviez vu ça... et puis quoi faire ? On n'était plus nous...". Ce jour-là, ce 5 septembre 1944, juste avant la libération toute proche, entre 3000 et 5000 Havrais périront sous un pilonnage méthodique de 30000 bombes incendiaires et 1820 tonnes de bombes explosives déversées par 340 bombardiers.
Aujourd'hui, après ce déluge ignoble, tout reste dans le flou. Quel historien, quel chercheur pourrait apporter des réponses à toutes ces questions : Combien sont morts ? Pourquoi si peu de documents ? Quelles sont les véritables causes de ce cataclysme concerté ? Car là est bien la douleur -et le mot est faible- de cette population du Havre qui a assisté à sa propre mise à mort. Rien, rien ne justifiait pareil holocauste gratuit, ce Guernica, cet Hiroshima qui fait du Havre une ville unique. Table rase le film de Christian Zarifian n'avance pas une réponse précise à ce drame qui semble voué au silence le plus honteux. A ce jour, ni la Grande-Bretagne ni la France (même archives ouvertes pour la première...) n'ont apporté les bonnes réponses aux bonnes questions. Le mérite du film de Christian Zarifian est de nous rappeler, de nous faire rouvrir les yeux sur un phénomène qu'en aucun cas il ne nous faudrait trop facilement occulter et faire passer à la trappe. En 78 minutes de projection entrecoupée de documents rares (ceux de la R.A.F.), de témoignages de personnes qui souffrent encore, de séquences vidéos d'un passé terrifiant mêlé au Havre présent de la nuit, Zarifian nous fait "justement" peur, nous fait mettre le doigt sur un vide, dont on devrait débarrasser nos murs... Table rase est une coproduction entre les films Seine-Océan, Normandie Films Production et la Sept, comme il a eu le soutien de la Maison de la Culture, de BBC TV South, de la DRAC, de la Ville du Havre, et d'autres organismes comme le Conseil Régional, le Conseil Général de la Seine-Maritime... Table rase sort sur les écrans havrais à partir du vendredi 18 mars au Gaumont Colisée et à l'Eden, la salle de la Maison de la Culture.

Wilfrid JOLY

Le Journal de Criquetot


Table rase parce que le 5 septembre 1944, en l'espace de deux heures, Le Havre a été détruit et rasé par l'aviation anglaise. Ce bombardement, le plus meurtrier de la guerre en France, a fait entre 3000 et 5000 morts. De ce fait qui a traumatisé les Havrais, le cinéaste (havrais depuis 1968, après avoir travaillé au Brésil, au service cinéma des armées et à l'ORTF) a retenu deux points : l'absurdité de la chose et le silence embarrassé qui a suivi les bombardements, un silence dans lequel Christian Zarifian voit « une espèce de honte ». Le film, co-produit par les films Seine-Océan, Normandie Films Production et la Sept, d'une durée de 78 minutes, est divisé en trois parties : la première partie présente l'événement : archives militaires, actualités de l'époques, témoignages de pilotes britanniques qui ont participé à l'opération, hypothèse d'un historien. Ensuite, la parole est donnée à vingt personnes qui ont subi les bombardements. La troisième partie est une vision du Havre d'aujourd'hui : de longues images qui illustrent la manière dont le cinéaste voit Le Havre, cette ville qu'il a choisi d'aimer et qu'il donne envie d'aimer.

L'un des moments forts de Table rase est incontestablement la séquence au cours de laquelle s'expriment les pilotes anglais : « On nous avait dit que les citoyens français avaient été évacués, et qu'il y avait une concentration de troupes allemandes encerclées par des Canadiens qui demandaient de l'aide (...) Par exemple, quand nous bombardions une usine en Allemagne, nous ne savions jamais s'il y avait des travailleurs étrangers dedans. Ce n'était pas dans les renseignements du briefing. Il fallait juste suivre les instructions du chef-bombardier et toucher avec précision les cibles signalées par signaux lumineux ». Ce passage du film est d'autant plus intéressant que William Douglas Home (frère de l'ancien premier ministre britannique Alexander Douglas Home) vient de demander à la Reine E Iisabeth la révision du procès qui l'avait condamné à un an de prison parce qu'il avait refusé de prendre part à l'attaque de septembre 44 contre Le Havre. Pour William Douglas Home, cette attaque signifiait « la mort de milliers de civils français innocents tenus en otage dans la ville » lit-on dans un article du Sunday Times paru le 21 février. Douglas Home a déclaré, précise le Journal « J'ai pensé que si j'avais obéi aux ordres, j'aurais été associé à ce qu'on appelle maintenant des crimes de guerre » et son avocat a souligné que le refus d'obéir de M. Douglas Home était un acte d'humanité : « Il y a des règles de conduite dans une guerre et un principe généralement admis veut que cette guerre ne soit pas dirigée contre une population civile ».

La grande question du film, celle qui reste toujours posée 43 ans après le drame, c'est le pourquoi de ce bombardement. Une seule hypothèse est présentée - par le Colonel Poupel - dans le film. Résumons la thèse de François Poupel. Les Anglais ont refusé la demande des Allemands de faire évacuer la ville, affirmant que c'était impossible techniquement, le colonel allemand ne s'est pas rendu et Le Havre a été bombardé : « Voilà pour moi l'explication : le général anglais a voulu faire un véritable bombardement de terreur, un renversement de responsabilité sur l'Allemand pour essayer de le faire capituler tout de suite. S'il avait capitulé, on aurait économisé non seulement dix jours de siège qui ont été aussi meurtriers, mais on aurait peut-être économisé tout ce reste de guerre puisque le but de l'opération, c'était quand même de finir la guerre en décembre 44 et pas en mai 45. Mais ça n'a pas réussi... » Une autre hypothèse existe, qui consiste à dire que les Anglais ont voulu éliminer un concurrent sérieux sur le plan commercial mais, déclare Christian Zarifian, « Personne n'a voulu soutenir cette thèse, difficilement crédible, devant les caméras ». Le cinéaste espère, et nous pouvons le souhaiter avec lui, que des historiens vont bientôt s'intéresser de près à cette question des motivations du Maréchal Montgomery, l'homme qui a donné l'ordre de bombarder Le Havre le 5 septembre 1944.