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Les Romantiques - Un film de Christian Zarifian (1994 - 1h35)

 


  •  J-M. Frodon, Le Monde – A. Bergala, Cahiers du cinéma - B. Genin, Telerama  •  
  •   D.Heymann et P. Murat, L'Annee du cinéma – F. P. Le Canard enchaîné - P. Collin, Elle  •  
  •   C. Lagane, Cinema n°533 – L. Porquet, l'Affiche - R. Predal, Jeune cinéma  •  
  •   Revue de presse  •  


Revue de presse de "Les Romantiques"


LA METHODE

Un des principes qui ont guidé la réalisation des Romantiques est la recherche de la plus grande justesse possible des personnages et de leurs relations. Dans ce but, on a procédé de la façon suivante : au début de leur travail d'écriture, les scénaristes ont régulièrement soumis les séquences qu'ils imaginaient à un groupe de jeunes réunis pour la circonstance. Ceux-ci donnaient leurs avis, apportaient des idées parfois. Une fois le récit construit dans ses grandes lignes et les personnages campés de façon assez précise, on a procédé à la distribution des rôles, opération longue et délicate, surtout avec des amateurs complets. Les choix opérés ont amené à un certain nombres de retouches ou d'ajustements dans le scénario, chaque personnage se modifiant un peu en fonction de la personne qui allait l'incarner. Cette deuxième phase d'écriture s'est déroulée conjointement avec le début des répétitions "musique" et de la formation au jeu des "comédiens" retenus. Vers la fin, les répétitions sont devenues plus précises, plus en prise avec le scénario : on a lancé des improvisations (filmées en vidéo 8) sur le canevas de chaque scène du film. Les scénaristes se sont alors remis au travail et ont utilisé le résultat de ces impros (attitudes, réactions, dialogues) pour écrire le script définitif.

La suite est plus classique : le tournage, puis le montage, ont apporté leur lot de surprises et de modifications, mais l'essentiel était déjà là, dans ce long et minutieux processus d'allées et venues entre travail d'écriture et travail avec les "comédiens".

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L'EXPERIENCE, LA PASSION, LA FOI

Les Romantiques explore une nouvelle fois l'objet privilégié des films de Christian Zarifian (On voit bien qu'c'est pas toi, Moi j'dis qu'c'est bien) : le groupe - en tant qu'il est autre chose que la bande.

La bande est nomade, prédatrice, centrifuge, hors-la-loi; le groupe est sédentaire, autophage, centripète, et cherche sa loi à l'intérieur de lui-même.

La bande est plus médiatique. Mais, de ce fait, ses charmes ont depuis longtemps cédé aux plus écoeurants poncifs. Le groupe est plus secret. Mais il n'en est pas moins guetté par d'autres poncifs.

Le groupe de jeune, le groupe musical : voilà de beaux prétextes à clichés. Zarifian les évite tous par l'intensité quasi-mystique avec laquelle il approche et décrit l'expérience. Car ce dont il est question dans le film est bien une expérience, au sens le plus intense du terme.

Ce qui différencie entre autres un Groupe d'une Bande, c'est l'existence d'un Local. Un local est autre chose qu'un repaire (lieu de la bande). Le repaire est clandestin, le local est légal. Il n'en est pas moins précaire, et susceptible de disparaître, faute de vivres, de subventions, d'électricité. C'est le lieu nécessaire, néanmoins, et quasi-sacré, où le Groupe invente ses règles à l'abri des lois du dehors, essaie de durer, de résister aux tensions internes qui menacent de le faire éclater, comme aux sollicitations externes qui peuvent provoquer des hémorragies, des départs.

Le film explore avec sérieux et passion ces tensions organiques, ces crises soudaines, irrationnelles, cette ligne de fêlure qui traverse le groupe à travers les individus plus ou moins fragiles, tendus, désaccordés, qui le constituent : la Vamp, la Mutique, l'Androgyne, le Timide, le Christ, le Disciple, le Bouffon, figures archétypales et en même temps contemporaines, banales : garçons et filles du Havre, avec leurs désirs incertains et leurs aspirations commençantes.

Des amours s'ébauchent, des couples se forment, mais toujours en quelque sorte sous le regard de l'esprit du groupe, qui crée et contient les désirs dans l'espace fermé du local : ce local d'où il devient difficile, voire impossible de sortir, syndrome de L'Ange exterminateur.

Et puisqu'il est question d'Ange... De quoi s'agit-il au fond ? De la foi. Une bande ne croit à rien (sinon à sa propre puissance prédatrice), mais un groupe se constitue toujours autour de la croyance en Quelque Chose. Le groupe ne se forme que pour éprouver sa propre foi en lui-même, et, au-delà, en l'objet auquel il se dédie : ici la musique. Le personnage d'Eric, son exigence qui flirte avec la folie, représente cette dimension de la foi (artistique) à quoi les autres sont obligés de se confronter, avec plus ou moins de distance, d'ironie, de violence.

La musique est ici le vecteur, l'objet de la foi. Une musique qui flirte avec le bruit comme naguère le free-jazz, et plus particulièrement (seul modèle musical explicite du groupe) Coltrane. Car le free-jazz a constitué une expérience, au sens mystique aussi (comme en peinture l'action-painting), par laquelle le jazz se confrontait à sa limite, touchait à cette limite où la musique se confond avec le bruit. Le free-jazz explorait un réel, un point d'impossibilité de la musique. Il est sensible que c'est à cette limite que le groupe se confronte à son tour. C'est cela peut-être le "romantisme" évoqué par le titre du film.

Une ligne mélodique émerge brusquement et puis se fond à nouveau dans le chaos sonore ; de même, parfois, le groupe semble prendre conscience de lui-même et trouver sa ligne d'intensité, son accord majeur, son harmonie interne, avant de se briser à nouveau. Le film se tient constamment à ce niveau de brisure, au plus près de cette "masse critique" qui en fait l'inquiétante beauté.

Le local est un entrepôt désaffecté sur un quai du Havre. La mer proche n'est pas un élément anecdotique du récit, ce récit qui s'achève religieusement dans les vagues, sur la double image d'une étrange Pietà doublée d'une esquisse de bacchanale païenne. En cette double image, peut-être, se résument les aspirations contradictoires du Groupe. Ses aspirations, sa passion : reflet de celle de Christian Zarifian.

Pascal Bonitzer





LA MUSIQUE

Deux ans avant le tournage des Romantiques, Christian Zarifian me proposa d'en composer la musique. Commença alors la recherche des comédiens-musiciens. L'un d'entre eux au moins devait être un musicien confirmé. Après quelques mois l'équipe fut constituée : un saxophoniste professionnel, un pianiste et un joueur de claviers ayant un peu pratiqué, une batteuse, un bassiste et deux chanteuses débutants. Ces paramètres mis en parallèle avec les exigence du scénario nous amenèrent à envisager l'écriture d'une musique basée sur une rythmique simple, binaire. Les répétitions commencèrent et rapidement un mode de fonctionnement se mit en place : j'écrivais des thèmes qui étaient testés, puis assimilés ou rejetés par le groupe. De ceux qui étaient acceptés, Fred (le saxo) écrivait l'arrangement et peu à peu le groupe s'appropriait la musique, la faisait sienne.

Des volontés diverses, parfois contradictoires, étaient à l'oeuvre pendant le travail, et notamment celle de Fred, qui voulait aboutir à un résultat flatteur, celle de Christian Zarifian qui voulait imposer sa conception du romantisme, en imprégner les musiciens, et la mienne, qui était de bouleverser et d'exacerber les formes musicales connues ("désordre = fécondité de l'esprit").

Le film terminé, toutes ces composantes se retrouvent dans la musique : d'abord l'exécution appliquée et besogneuse de thèmes écrits, puis des moments semi-improvisés de délire, trop calibrés pour être vrais, trop homériques pour ne pas être un peu cyniques, ensuite une succession de tortures de formes à laquelle il manque l'exécution "tragique", tout cela enserré dans le cadre du scénario et de ses personnages "romantiques au sens du réalisateur".

Enfin, de ce magma composite et compliqué éclôt une musique aux accents aussi sereins que d'aucuns les voulaient paroxystiques, quittant le délire ou l'ivresse joués pour atteindre un calme et un silence vrais.

J'aime ces moments d'une étrange beauté. Le déclarer n'est pas immodeste car je n'y suis pour rien (presque rien). Voilà la magie du cinéma, que je préfère appeler machiavélisme du cinéma : un contexte (des "états romantiques" divers et parfois contradictoires), des gestes artistiques qui parviennent parfois à la spontanéité (inconscience), un réalisateur qui a "induit" sa loi en amont.

Jean-Paul Buisson

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LA PHOTOGRAPHIE

Tout commence dans le volume d'un entrepôt désespérément vide et figé. La lumière n'a pas le moindre grain de poussière à se mettre sous la dent. Le directeur de la photographie est devant sa page noire et attend patiemment le premier bibelot qui meublera l'espace.

Puis le groupe s'installe, apporte ses meubles, le décor évolue sensiblement et la lumière avec lui, dont on multiplie peu à peu les sources. Lorsqu'enfin le lieu est tout à fait habité, la lumière a complètement changé, elle a accompagné la lente métamorphose du groupe, et c'est une coupure d'électricité qui, tout naturellement, marquera la fin de la "mue".

A son habitude, Christian Zarifian me donne une carte blanche et beaucoup d'indications en vrac : le jour sera artificiel et la nuit naturelle, il sera question de visages et de caractères, d'effets à éviter, de peintures hollandaises et puis surtout du balbutiement d'une musique de jazz.

La tonalité proposée par l'image est dans une mode a contratempo et si à ce stade le projet peut sembler maîtrisé, il reste aux spectateurs à ne pas le remarquer.

Jean-Luc L'Huillier





LE REALISATEUR ET LE SCENARISTE

Le réalisateur et le scénariste se retrouvaient toutes les semaines dans un café du Havre, pour écrire un film dont ils ne savaient pas grand-chose encore : simplement des jeunes qui font de la musique.

Le scénariste arriva avec 7 personnages, 7 "types" très différents. Le réalisateur était content.

Le réalisateur ne voulait pas d'un scénario trop bien ficelé. Ce serait plutôt un récit sous la forme d'une chronique. Une multitude d'anecdotes, de moments, sans lien apparent entre eux. Le scénariste était intéressé.

Le réalisateur voulait qu'il y ait plusieurs "sujets" dans le film : la musique, l'amour, la jeunesse, la télévision, les rapports parents-enfants. Le scénariste trouvait qu'il y en avait beaucoup pour un seul film.

Un jour, le scénariste a écrit une scène avec des dialogues : une scène de séduction. Le réalisateur l'a lue et a dit: "Le film commence à exister !".

7 personnages, tous très différents, une chronique faite de fragments de vie et d'histoire, des thèmes variés, tout cela pour raconter la vie de jeunes qui veulent faire de la musique, certains jusqu'au bout.

Le scénariste écrivait, le réalisateur corrigeait. Le réalisateur aussi rédigeait. Parfois le scénariste reprenait ce qu'avait écrit le réalisateur qui recorrigeait ce qu'avait corrigé le scénariste. A force, le scénario a eu le nombre de pages nécessaire.

Le film se dessinait, prenait sa forme et il devenait plus confortable d'y travailler. Le scénariste et le réalisateur aboutirent à 21 scènes. Tout y était: les 7 personnages, la chronique et les "sujets" décrits plus haut.

Les acteurs sont alors entrés dans les personnages qui leur étaient destinés, ils se sont glissés dans les séquences. Ils ont apporté leurs mots sur les dialogues que le scénariste et le réalisateur avaient écrits pour eux.

Entretemps, trois versions du scénario avaient été soumises au jugement d'un autre scénariste (Pascal Bonitzer) qui avait la distance nécessaire.

Il y a eu le tournage dans un grand local. Le film s'installait en maître. Le réalisateur savait ce qu'il faisait. Les séquences étaient déjà là, répétées depuis longtemps, inlassablement décrites. Le scénariste veillait à ce que les 7 acteurs n'oublient aucun des mots qu'ils avaient donnés pour les dialogues.

En conclusion: les sujets se fondent en un seul, la chronique n'évoque qu'une histoire, les 7 personnages forment un tout : le groupe. Voilà. Le film est fait.

Nicolas Plateau

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UN DES ROLES

Je n'avais jamais fait de cinéma, ni comme musicien, ni comme comédien. La première chose qui m'a intéressé, c'était de ne pas avoir de structure musicale imposée, de diriger un groupe sans appartenance, sans référence, qui pouvait aller n'importe où. C'était une vraie liberté et un vrai défi, de même que le fait de jouer en direct, sans tricher, qui donne beaucoup plus d'intensité. Cela dit, si on refaisait le film aujourd'hui, musicalement je ferais autrement, j'orienterais plus vers le jazz.

L'absence de public au tournage est très éprouvante, on n'a pas de retour, pas d'énergie qui revient. En même temps, la caméra t'oblige à aller plus loin dans tes délires, à voir ton fond. Tu te retrouves face à ta vérité, c'est une espèce de quête. C'est dur, on a tous craqués à un moment ou à un autre, mais c'est bien.

Pendant le tournage, je ne voyais pas du tout où on allait, je ne contrôlais plus rien, j'avais trop de choses à gérer en même temps. Alors j'ai fait ce que je pouvais faire, j'ai donné ce que je pouvais donner, je m'en suis remis au réalisateur des décisions de fond.

Le personnage d'Eric ne me ressemble pas, mais comme par certains côtés il m'était familier, je n'ai pas eu de mal à me glisser dans sa peau. Et puis j'ai beaucoup aimé le fait de pouvoir exprimer une force par la fragilité.

Frédéric Schmidely