Louis Marcorelles
Le Monde, 22 mai 1970
Sélectionné à Cannes à la Semaine de la Critique, On voit bien qu'c'est pas toi est un moyen métrage de cinquante minutes produit par l"Unité Cinéma" de la Maison de la Culture du Havre ; il a été entièrement conçu et interprété par de jeunes ouvriers. Travail, famille, loisirs, le film trace un portrait sans fard d'une jeunesse vue de l'intérieur, peu conforme aux schémas de tous bords. La Semaine de la Critique s'honore de présenter de telles expériences qu'on voudrait multiplier par cent à travers la France.
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Michel Delahaye
"23ème Festival International du film de Cannes Semaine Internationale de la Critique Française SIC 1970"
Ce film est le résultat d’une expérience jusqu’ici unique en France : faire en sorte que ceux sur qui on fait un film soient aussi ceux qui le fassent. C’est ainsi que le scénario a été élaboré en commun par une vingtaine de jeunes travailleurs. Le réalisateur, Christian Zarifian (…) leur laissait carte blanche pour trouver les meilleurs moyens de s’exprimer eux-mêmes, tels qu’ils se voyaient, tels qu’ils pensaient qu’on devait les voir. Or il s’est trouvé qu’ils désiraient surtout montrer d’eux, d’abord leurs loisirs (le travail étant laissé entre parenthèses), ensuite leurs parents et leur monde incompréhensible. Le résultat est un film très libre, très simple, très précis. Film d’amateur, dira-t-on peut-être, ce qui est vrai si on considère comme amateurs des gens comme Jean Rouch et Pierre Perrault. En outre, les couches profondes de la France n’ayant encore fait l’objet d’aucun film, nous avons ici la surprise de découvrir ce pays sous un angle d’autant plus étrange que ses données nous sont au départ plus reconnaissables. Mais ce que nous reconnaissons aussi, ce sont les traits d’un certain cinéma qui, depuis longtemps déjà, est à l’œuvre, ailleurs, pour nous montrer les couches profondes de certains pays. Ainsi la France nous apparaît-elle ici un peu à la façon dont nous apparaît le Québec chez Perrault ou l’Afrique chez Rouch, ou encore (...), la Tchécoslovaquie chez Forman. C’est bien au même type de découverte que nous sommes ici conviés, mais saurons-nous nous découvrir nous-mêmes ?
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B.C.
Positif, Septembre 1970
L'accueil plus que mitigé fait à On voit bien qu'c'est pas toi prouve jusqu'à quel point les critiques et les simples spectateurs n'ont pas compris pourquoi ce film avait été sélectionné. Première raison de ce choix : dans le cadre d'un cinéma français dont le centre est la capitale (même s'il existe un peu partout des cinéastes amateurs) le film de Zarifian, réalisé pour la Maison de la Culture du Havre, est une expérience qui mérite d'être signalée. Deuxième raison : le film fut écrit avec leur accord par les jeunes de la Maison et s'il est signé Zarifian, il fut réalisé avec leur accord ; leurs idées. Il s'agit donc d'une entreprise collective qui donne un point de vue sur un monde collectif, celui d'un groupe de jeunes ouvriers qui vivent et se racontent. Le film ne prétend pas faire autre chose que décrire la vie quotidienne de ces jeunes pris entre leurs familles, les distractions de la Maison de la Culture, le café. Le récit comprend trois parties : la ville, la campagne, de nouveau la ville. Il s'agit d'un cinéma en liberté où les gens sont vus sous l'angle de la sympathie et de la sincérité. Des escapades dans la nature qui libèrent (bien peu) leurs instincts, les familles qu'ils (qui ne les) ne comprennent pas, un 14 juillet qui leur apparaît dénué d'intérêt, un travail qui ne signifie rien pour eux. Au bout de tout cela on découvre, justement décrite, une certaine France où l'ennui et le vide règnent.
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