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Vues d’ici - Un film de Vincent Pinel et Christian Zarifian (1978 - 72 minutes)

 


  •   Georges Sadoul, Dictionnaire des films - Louis Marcorelles, Le Monde - Claude-Marie Trémois, Télérama  •  
  •   François Maurin, L'Humanité - Marie-Odile Delacour, Libération - F.A., Positif  •  
  •  S.Z., La Vie Ouvrière - Daniel Lemmonier, Encrage - Alain Marquet, Lutte ouvriere  •  
  •  PAESE SERA (10.10.78) - Françoise Maupin, La Revue du Cinéma - entretien avec Ginette Dislaire  •  
  •  Guy Hennebelle, Ecran - entretien avec Josette Aubin  •  


Guy Hennebelle

Ecran - 79, Juin 81


C'est dommage que Vues d’ici ne soit pas en couleurs ! C'est dommage car sur plusieurs sujets d'actualité (la lutte des femmes, le chômage...), il offre un (assez) bon exemple de ce cinéma d'intervention que, on l'aura peut-être remarqué, nous sommes un certain nombre à appeler de nos vœux dans notre belle France de 1979. Il est intéressant d'observer que la réalisation de ce film n'a été rendue possible que par la production d'une Maison de la Culture : c'est le troisième du genre sur des sujets voisins. Serait-il vrai que ce sont aussi les structures (et pas seulement l'origine sociale des cinéastes) qui expliquent "l'escapisme" trop fréquent du cinéma français dominant ? Un cinéma en prise avec la réalité quotidienne, économique et régionale de tout un chacun pourrait-il réellement trouver une "nidation" sous les toits de ces Maisons, souvent sinistres, que Malraux appelait "les cathédrales du X Xème siècle"? Il y a là un phénomène nouveau à étudier.

Alors que d'autres, on ne sait trop pourquoi et ils font à mon sens un mauvais calcul, s'empressent de nier avoir fait un film politique, ou pire un film "militant" quand l'évidence de leur démarche crève pourtant l'écran, Vincent Pinel et Christian Zarifian proclament clairement, eux, leur adhésion à la mouvance du cinéma que l'on appelle maintenant "d'intervention" et se félicitent de ce qu'ils nomment joliment "la mise en crise du cinéma d'auteur". Il faut dire que cette idée ne leur est pas venue de la dernière pluie.

Souvenez-vous: 1969, On voit bien qu’c’est pas toi ; 1970, A suivre ; 1974, Moi j’dis qu’c’est bien. Loin des "mythologies cinéphiliques", déjà, mais en marge du cinéma trop étroitement "militant" alors en pleine ascension, les "gens de la Maison de la Culture du Havre" avaient trouvé une sorte de ton "québécois", déjà perceptible dans le choix de leurs titres, dans lequel cohabitaient harmonieusement la volonté de témoigner de ce qui fait le concret de la vie d'individus "ben ordinaires" (comme dirait Charlebois, excusez l'accent) et une attention à la subjectivité qu'ils se sont gardés de refouler au nom d'on ne sait quelle mystique révolutionnaire. En même temps, ce "film collectif d'auteurs" doit beaucoup, c'est évident, au plan thématique, à plusieurs films antérieurs d'offensive à la fois sociale et féministe: on songe plus d'une fois à Coup pour coup (Karmitz), au Temps de vivre (Paul), à Beau masque (du même). ou encore à Tout va bien (Godard). Mais ici, même si l'on retrouve des similitudes de situations (imposées de toute façon par la commune réalité de la vie en France), le ton est différent : je l'ai dit plus quotidien, trop peut-être. Sans partager l'avis émis dans "Antoinette" qui aurait souhaité (n° 167) "des héroïnes plus positives", on éprouve parfois le sentiment, ou mieux la sensation, que la grisaille des situations a en quelque sorte déteint sur la texture du film lui-même que l'on aurait aimé plus chaleureux, plus enlevé, plus je ne sais pas moi, plus sensible peut-être ? Et pourtant, non, ce n'est pas ce que je veux dire...

Peut-être cette relative sécheresse tient-elle justement au caractère relativement collectif de la réalisation ? Vous allez dire que je me contredis, que je ne sais pas ce que je veux, qu'il faudrait savoir à la fin ? C'est que je ne sais pas moi-même... Lutter contre le cinéma d'Auteur, d'accord. Ce qui veut dire lutter contre la révérence cinéphilique envers la mythologie trop souvent solipsiste des grands créateurs. Le revers de la médaille est que la création collective présente bien des aléas ! Le premier étant généralement d'engendrer des frustrations au sein de l'équipe qui parfois aura l'impression d'avoir été manipulée. On peut lire entre les lignes les aveux de cette frustration dans le témoignage ci-joint (voir le texte en marge). Si l'on excepte des cas comme les frères Taviani ou les Allemands Heynowsky et Scheumann, qui ne concernent que des duos, il est rare que la création collective puisse s'étendre à toutes les étapes de la réalisation d'un film qui doit forcément finir par passer au tamis de la subjectivité d'un créateur: quand Marin Karmitz disait que Coup pour coup avait été réalisé par cent ouvrières et lui-même, il est clair qu'il fallait inverser l'ordre de l'énoncé... Le "cinéma collectif d'auteurs" est un continent encore en friche où il est naturel que les premiers explorateurs s'égarent un peu ...

Le sujet ? J'oubliais. C'est un bouquet d'histoires individuelles de quelques femmes en lutte à la fois contre l'ordre social et patriarcal, où domine celle d'Annie, une épouse de quarante ans, qui décide subitement de travailler pour que la vie soit à elle aussi. Mais comment dans la société actuelle le travail qui asservit trop souvent l'homme pourrait-il libérer la femme ? Telle est l'une des questions, parmi beaucoup d'autres, posée par ce film qui parle aussi bien de vous que de moi. Et que donc j'ai aimé malgré, je le redis, une trop grande austérité dans la forme.

Ecran - 79, Juin 81


PROPOS DE JOSETTE AUBIN

Josette Aubin qui a participé à Vues d’ici explique comment s'est déroulée l'élaboration de ce film collectif.

"Je ne sais plus trop quand et de quelle façon tout a commencé. Notre projet de film a dû germer pendant l'Année de la Femme, à partir d'une proposition de la Maison de la Culture concernant la création d'un groupe de travail composé par des militantes des Mouvements Féminins et Familiaux de la ville. Le groupe devait travailler, en particulier, à l'élaboration d'un scénario de film sur les problèmes de sexualité, de contraception et d'avortement.

Aussi est-ce immédiatement mobilisées et dûment mandatées par nos associations réciproques que nous avons répondu et mis en place un important groupe de réflexion. Nous nous connaissions toutes plus ou moins pour avoir participé à beaucoup de manifestations au cours de l'année comme représentantes des mouvements actifs du Havre.

Dire qu'au départ il n'y a pas eu quelques tensions serait mentir. Il y a eu, en fait, des moments hauts en couleur, dont le souvenir me met en joie. Ce groupe comprenait des éléments de sensibilités différentes. Très vite, de la discussion un peu contrainte des débuts, nous sommes arrivées à des échanges chaleureux et pleins de compréhension. Nous en avons dégagé deux thèmes pour notre réflexion à venir, qui nous semblaient recouvrir nos préoccupations : "Le conditionnement" et "La double journée de travail".

La visite de Judith Stara Sandor fut un encouragement. Elle aimait beaucoup ce que nous recherchions. Ce travail avait déjà été fait par des intellectuelles, mais, à sa connaissance, encore pas par des femmes dont la majeure partie était du monde ouvrier. C'est en discutant avec elle que nous avons le mieux ressenti l'importance de notre travail et compris qu'en choisissant d'en faire un film, nous n'utilisions peut-être pas l'outil le mieux adapté. Ne valait-il pas mieux en faire un livre, un document écrit ?... Peut-être, sans doute, je n'en sais rien. En faisant le film, nous étions assurées de diffuser nos idées assez largement et sous une forme attractive. En plus c'était une aventure puisque nous allions l'interpréter nous-mêmes. Pour la réalisation, la Maison de la Culture était prête à nous aider. Nous n'avons plus hésité.

Le projet, cependant dépassait le cadre du film d'amateurs. L'animatrice du groupe se mit en quête de possibles réalisateurs. C'est ainsi que certains noms furent avancés : Agnès Varda, Marcel Trillat et d'autres que j'ai oubliés. Il s'agissait souvent d'ailleurs de réalisateurs masculins... Ce qui faisait grincer des dents à beaucoup.

A cet état de notre travail, il y avait un certain trouble : que nous le voulions ou pas, et par la force des choses, il faudrait faire appel à un professionnel. Qu'il soit un homme ou qu'il soit une femme n'y changerait pas grand-chose, dans la mesure où il aurait sa propre vision et, de toute façon, le pouvoir de celui qui sait par rapport à celui qui ne sait pas.

La cohésion du groupe en a souffert : celles qui n'acceptent pas les compromis nous ont quittés. Elles savaient qu'entre leur conception et le produit achevé il y aurait un décalage énorme. Je peux comprendre cela, mais ça ne me semble pas très réaliste, compte tenu des contraintes matérielles, économiques et humaines. La création collective, un mythe ? Oui sans doute.
Mais notre propos était plus ce faire un reportage d'une réalité vécue que de nous impliquer totalement sur une vision subjective d'un des aspects de la condition féminine.

Les autres, dont j'étais, ont tenté de construire une histoire qui servirait de base au scénario. Ça n'a pas été simple non plus. Autant de participantes, autant d'histoires. Ce qu'il fallait, c'était sortir les trois ou quatre grandes pistes de notre réflexion et accepter d'éliminer tout ce qui rendait le texte confus et trop bavard.

Au niveau de la réalisation, enfin une solution. L'Unité Cinéma de la M.C.H. s'est proposé à le faire, après avoir hésité pour diverses raisons. Restaient à trouver d'éventuels coproducteurs, la Maison ne pouvant financer la totalité de l'opération.

En attendant la manne providentielle qui allait nous permettre de tourner en couleurs et dans les meilleures conditions, Christian Zarifian a tiré un scénario de notre texte. Comme ce scénario ne faisait pas l'unanimité, il en a fait un second. Puis un troisième. C'était satisfaisant comme un portrait robot. Tous les traits y étaient sauf la ressemblance. C'était à la fois cela et autre chose. Le groupe d'origine s'étant amenuisé, nous dûmes rechercher des jeunes femmes extérieure au groupe pour l'interprétation.

Et malgré une mise en route un peu difficile, le tournage a démarré. En noir et blanc, avec un seul acteur professionnel, avec peu d'argent et beaucoup de bonne volonté. On passait enfin de la conception à la réalisation. Tout en me sentant un peu étrangère parce que je n'avais plus d'intervention directe, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt. Mystère et cuisine cinématographique...





On ne s'improvise pas acteur, c'est un métier. Je me sentais gauche, même dans un rôle si modeste. Pour nous laisser toute liberté d'expression, le metteur en scène intervenait le moins possible. Juste quelques indications. Ça ne m'a pas aidé. Vincent, Christian, l'équipe technique, je connaissais. Nous avions donc affaire à une équipe de tournage masculine et certaines d'entre nous l'ont mal vécu. Je pense que l'ambiance eût été toute différente avec des cinéastes-femmes : plus détendue, plus libre, plus chaleureuse aussi. Ceci dit sans aucune méchanceté.

Nous ne tournions pas dans des conditions faciles, à cause de notre petit budget. Le temps nous était compté, les mètres de pellicules aussi. Malgré tout les scènes de l'atelier ont été tournées dans la bonne humeur et les fous rires intempestifs, sauf le jour où ils étalent au programme.

A part une ou deux scènes à refaire, nous avons enfin pu écrire le mot "dernière" sur la petite ardoise. Au montage, on a remis tout dans l'ordre, gommé les bruits, redonné la lumière. Ça ressemblait à un vrai film.

Lorsque nous l'avons projeté au Havre pour la première fois, tous les amis et curieux sont venus. Nous avons eu des critiques dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles n'étaient pas mesurées, en bien ou en mal.

En fait c'est dans les quartiers périphériques que nous avons eu les meilleurs contacts. Nous avons senti que nous avions touché et que si notre démarche n'était pas originale elle rejoignait toujours les préoccupations des hommes et des femmes."